mercredi 14 octobre 2009

All day, all night

"Prince est un has been, il n'intéresse plus personne, ça fait quinze ans que ses disques sont mauvais, etc etc...". Le refrain est connu et répété à satiété par la presse depuis des lustres. Presse qui aura retourné sa veste en un temps record, voyant les 10000 places pour les concerts du Grand Palais s'envoler avec tout autant de rapidité. Oui, Prince en 2009, ça intéresse encore du monde. Beaucoup même. Alors que le formatage musical règne sur les ondes et que l'industrie du disque meurt autant de son manque d'audace que du piratage, il fait plus que jamais figure d'électron libre, jamais là où l'attend, quitte à être parfois carrément à côté de la plaque.

Ne nous leurrons pas cependant, le public du Grand Palais était constitué à 80% de trentenaires et quadras venus retrouver avec un brin de nostalgie un héros de leur adolescence.
Point de passéisme cependant quand "1999" marque le coup d'envoi du premier concert, la beauté et l'aspect atypique du lieu apportant à ce titre composé 27 ans plus tôt une touche intemporelle . La sélection de titres funk balancés sur la sono pour nous faire patienter (James, Marvin, Sly, que des classiques) annoncait clairement l'orientation musicale du patron en ce mois d'octobre. Prince a des envies de groove, veut voir les parisiens danser et pour celà il déploie l'artillerie lourde : ses hits sont de sortie, ceux des autres aussi (Chic, les Doobie Brothers) mais également "Mountains", un inattendu "Girl", et un hommage discret mais bien réel à vous-savez-qui avec "Shake your body down to the ground".
Néanmoins l'image la plus marquante et la plus irréelle, au milieu de tout ce maelström funk, restera pour l'auteur de ces lignes celle de Prince seul à la guitare entamant un émouvant "Sometimes it snows in april" sous le ciel gris d'automne, quelques oiseaux survolant alors la verrière du Grand Palais...
La version nocturne du show se déroulera dans une ambiance bien différente, malgré une setlist identique (avec quelques jokers de taille, tout de même : "Purple rain", "A love bizarre", excusez du peu). Les éclairages transforment l'endroit en un repaire gothique digne du Fantôme de l'opéra, menaçant souvent de faire sombrer l'ensemble dans le kitsch. Heureusement le plaisir de jouer de Prince est communicatif, et s'il a clairement fait une croix sur les chorégraphies qui faisaient une partie de sa force scénique, il compense cela au centuple par une virtuosité guitaristique qui laisse pantois.

Le lendemain, le défilé des petites vedettes de la presse people devant La Cigale ne laisse rien augurer de bon. Pourtant quand le rideau s'ouvre à 22 heures et qu'apparait un Prince radieux entamant une setlist totalement différente de la veille on réalise qu'il va se passer quelque chose de grand... 2h45 plus tard le public est KO debout, après une prestation stupéfiante qui restera dans les annales au même titre que celles vues au Rex Club ou au Bataclan, quinze ans auparavant. Plus humain et enjoué que par le passé, boosté par la réaction d'un public chauffé à blanc, Prince demeure intouchable dans sa façon de captiver une audience et d'insuffler un groove puissant dans chaque note jouée, porté par un groupe plus à l'aise, moins scolaire que le jour précédent. Annihilant toute concurrence à coup de guitare Hohner, ridiculisant les pros de l'autotune avec sa technique vocale saisissante, il donne encore une fois l'impression d'être né pour monter sur scène, le seul endroit où il peut dépasser sa condition de simple mortel. Un endroit où on le sent libre, heureux.. et nous avec.

lundi 5 octobre 2009

Qui est In, Qui est Out

4 sur 10. C'est la note attribuée au nouvel album de Air, Love 2, par le site américain Pitchfork. Un site qui fait un peu la pluie et le beau temps outre atlantique en matière de rock indé, lançant le buzz autour d'un groupe grâce à une poignée de critiques positives ou stoppant net la carrière d'un disque par le biais d'un "mauvaise note" accompagnée d'une prose sarcastique.

Le lectorat de Pitchfork n'est pas gigantesque, mais beaucoup de blogs musicaux ou de magazines papier vont y piocher les tendances des mois à venir. Et en ce mois d'octobre 2009 la tendance est à des groupes comme The XX ou Girls, doués pour créer des ambiances, nettement moins pour composer la moindre mélodie marquante. Qu'on se le dise, le groupe idéal cette année se doit d'être mou et informe, flou comme un clip pseudo vintage en super 8 hâtivement balancé sur Youtube. Autant dire qu'on est bien loin de l'univers du duo versaillais, que l'on imagine retranché dans son nouveau studio pendant des mois, façonnant avec un soin maniaque ce Love 2 succédant à un Pocket Symphony auxquels certains avaient déjà reproché une certaine froideur.

Alors, qu'est-ce qui a déçu à ce point Nate Patrin, auteur de la chronique de ce nouvel album ? Il nous dit tout d'abord que Air avait réussi dans le passé, de façon quasi miraculeuse, à rendre cool une musique qui à la base, était un peu ringarde et que l'on n'était pas supposer aimer. Euh, attendez, de quel genre de musique parle-t-on au juste ? D'Ennio Morricone, de François De Roubaix, de John Barry, de Serge Gainsbourg ? Des références que peu de groupes revendiquaient à l'époque de Premiers symptômes et de Moon safari, certes, et l'on ne remerciera jamais assez Air d'avoir proposé une alternative aux clones de Nirvana et de Massive Attack qui pullulaient dans les bacs.
Plus loin, Patrin nous apprend que les paroles de Air sont naïves (scoop), leur anglais rudimentaire, les titres de leurs chansons bourrés de clichés... Tout ce qui faisait le charme de leur musique, en somme, semble aujourd'hui jouer contre eux. Hé oui, Moon safari c'était il y a onze ans déjà, il est donc grand temps que Air expérimente le fameux retour de bâton bien connu de tous les artistes influents qui après avoir été portés aux nues par une presse complaisante, se voient ensuite taxés de ringards et poussés vers la sortie au profit des nouveaux chouchous du moment.
Comprenons-nous bien, Nate Patrin a parfaitement le droit de ne pas aimer Love 2 et de nous en faire part, seulement ses arguments sentent comme souvent chez Pitchfork la manoeuvre
grossière, la hype taillée à la serpe. "Allez, dehors Godin et Dunckel, vous commencez à nous embarrasser avec vos disques trop clean, trop mélodieux, trop produits, nous on promeut des mecs en tee-shirts XXL qui ânonnent sur fond de folk souffreteux enregistré sur un dictaphone, comment voulez-vous qu'on soit crédibles après, si on met plus de 5 sur 10 à votre disque, hein, comment ?"

Au fait, il vaut quoi ce Love 2 ? Hé bien je ne l'ai pour l'instant, comme le gars de Pitchfork je suppose, écouté qu'une fois. Trop peu, donc, pour émettre un réel avis; il va à l'instar de ses prédécesseurs tourner de nombreuses fois sur la platine, et restera peut être en haut d'une pile de CD fréquemment écoutés... ou pas. Il aura eu sa chance, au moins, indépendemment des diktats des façonneurs de modes du web, imbus d'eux-mêmes et fiers d'avoir sonné le glas des vieux rock critics de la presse magazine. Pas sûr qu'on aie gagné au change.